L’ANI du 11 janvier 2013, repris par la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, a des conséquences sur le déroulement de la procédure prud’homale, par la modification des règles concernant la conciliation et la prescription. Cette loi a été présentée comme visant à préserver l’emploi dans un contexte économique difficile, tout en faisant reculer la précarité des salariés. Un prétendu « donnant-donnant » qui n’a en réalité que pour seul objectif de diminuer les droits des salariés.
Et quoi de plus efficace pour atteindre cet objectif que de développer une stratégie d’évitement du juge, privant ainsi le salarié de l’application effective de tous ses autres droits ? Ces mesures sont entrées en vigueur et des difficultés d’utilisation émergent déjà. DLAJ revient donc sur ces deux mesures de la loi de sécurisation de l’emploi, pour donner quelques pistes quant à leur mise en œuvre, et rappeler la position de la CGT à cet égard.
La barémisation
1- Qu’est-ce que le barème ?
L’article 21 de la loi sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, codifié à l’article L.1235-1 du code du travail, introduit un barème qui permet aux parties de mettre fin, par accord, à leur litige devant le bureau de conciliation, moyennant une contrepartie forfaitisée d’un montant très faible. Ce barème peut être proposé par l’une des parties ou par le bureau de conciliation lui-même.
L’article D.1235-21 du code du travail précise le montant du barème :
2 mois de salaire si le salarié justifie chez l’employeur d’une ancienneté inférieure à 2 ans ;
4 mois de salaire si le salarié justifie chez l’employeur d’une ancienneté comprise entre 2 ans et moins de 8 ans ;
8 mois de salaire si le salarié justifie chez l’employeur d’une ancienneté comprise entre 8 ans et moins de 15 ans ;
10 mois de salaire si le salarié justifie chez l’employeur d’une ancienneté comprise entre 15 ans et 25 ans ;
14 mois de salaire si le salarié justifie chez l’employeur d’une ancienneté supérieure à 25 ans.
Ces sommes sont dérisoires au regard de celles qui peuvent être obtenues en justice. Le forfait est calculé en fonction de l’ancienneté du salarié. Or, ce critère est déconnecté du préjudice subi par le salarié. Préjudice qui se détermine en fonction d’autres critères tels que l’âge, les charges de famille, les circonstances de la rupture etc.
Ce barème présente l’immense avantage pour les employeurs de leur permettre de « sécuriser » les potentielles procédures judiciaires en « provisionnant » une somme presque certaine. L’employeur peut désormais évaluer facilement les risques d’un litige.
2- Conserver le rôle actif du juge
Le salarié a besoin de discussion et d’une vraie conciliation. Agir devant le conseil de prud’hommes n’est pas seulement une question d’argent, c’est aussi souvent une question de dignité. Permettre au salarié d’être restitué dans ses droits et de ressortir la tête haute du conseil, c’est l’un des rôles du juge prud’homal.
De manière générale, il est recommandé aux conseillers prud’hommes CGT d’exercer leur mandat sans référence au barème, afin de ne pas lui apporter une crédibilité particulière. Le bureau de conciliation doit garder un rôle actif et s’il souhaite proposer un montant, celui-ci doit être en lien avec le préjudice subi.
Il est évident que les employeurs, leurs avocats et leurs conseillers vont tâcher de donner une force contraignante à ce barème. Or, les règles générales sur la conciliation, prévues à l’article L.1411-1 du code du travail, continuent à s’appliquer : si le salarié souhaite concilier, il est toujours possible de s’entendre sur d’autres montants que le barème, qui n’est qu’une indication. C’est d’ailleurs ce que précisait le rapporteur du projet de la loi de sécurisation de l’emploi : « Le barème proposé dans l’Ani n’étant qu’indicatif, les parties sont libres de le suivre ou de s’en écarter » (rapport du Sénat sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, C. Jeannerot, 11 avril 2013). Si le barème n’était pas purement indicatif cela enlèverait au salarié toute marge de négociation.
Par ailleurs, il est essentiel de garder à l’esprit que la conciliation ne doit pas léser les droits du salarié. Le montant proposé doit être en rapport avec le préjudice subi. Faute de quoi, on assistera à une aberration : le salarié sera mieux protégé s’il signe une transaction sans avoir recours au juge, puisqu’en cas de transaction, en échange du renoncement du salarié à saisir le tribunal, l’employeur est tenu de lui verser une contrepartie adéquate. Alors que le salarié qui accepte le barème sous le regard du juge de conciliation n’a aucune garantie.
Le bureau de conciliation ne doit pas devenir une simple chambre d’enregistrement des manœuvres de l’employeur pour échapper à la sanction de ses manquements. Le juge a l’obligation de vérifier que l’accord trouvé entre les parties préserve les droits de chacune d'elles. La jurisprudence « Durafroid » du 28 mars 2000 continue à s’appliquer.
Cass. Soc. 28 mars 2000 n°97-42419 « la conciliation, préliminaire obligatoire de l'instance prud'homale, est un acte judiciaire qui implique une participation active du bureau de conciliation à la recherche d'un accord des parties préservant les droits de chacune d'elles ; qu'en conséquence, cet acte, ne peut être valable que si le bureau a rempli son office en ayant, notamment, vérifié que les parties étaient informées de leurs droits respectifs ; que si ces conditions de validité du procès-verbal de conciliation ne sont pas remplies, la juridiction prud'homale peut être valablement saisie ; Et attendu qu'en constatant que le salarié n'avait obtenu en contrepartie de son désistement que des sommes qui lui étaient dues, la cour d'appel a fait ressortir que les juges conciliateurs n'avaient pas rempli leur office, en sorte que l'accord constaté par le procès-verbal de conciliation était nul ; »
De la même manière, en bureau de jugement le barème ne peut en aucun cas devenir une référence pour l’indemnisation des salariés, comme certains le prétendent déjà. Cela serait manifestement contraire au texte de la loi mais également à la convention OIT n°158 art. 10, selon laquelle le licenciement injustifié doit faire l’objet d'une « indemnité adéquate ». Cela signifie que l’indemnité doit être conforme au préjudice subi et se faire au cas par cas et non pas forfaitairement.
3- Le champ d’application du barème
Il s’agit d’être vigilant sur les demandes concernées par le barème. Selon L.1235-1, « le procès-verbal constatant l'accord vaut renonciation des parties à toutes réclamations et indemnités relatives à la rupture du contrat de travail ». Il s’agit d’avoir une définition stricte de cet article. L’acceptation du barème ne vaut pas pour toutes les autres contestations, pour lesquels le salarié peut poursuivre son action : demande de rappel de salaire etc. Elle ne vaut pas non plus pour les indemnités de licenciement légales, conventionnelles ou contractuelles. L’article L.1235-1 précise en effet que le montant du barème est déterminé, « sans préjudice des indemnités légales, conventionnelles ou contractuelles ».
Par ailleurs, le barème ne s’applique pas dans tous les cas où le licenciement est, non pas sans cause réelle et sérieuse, mais nul. En effet, l’article L.1235-1 qui prévoit le barème, se situe dans le chapitre consacré à la sanction des licenciements irréguliers : licenciements sans cause réelle et sérieuse et licenciement avec irrégularité de procédure. Les sanctions du licenciement nul (discrimination, atteinte aux droits fondamentaux, périodes de protection (grossesse etc.), licenciement économique avec PSE insuffisant etc.) ne sont pas prévues dans ce chapitre-là.
En cas de désaccord entre les conseillers prud’hommes sur la conciliation, l’affaire doit être renvoyée en départage. En effet, les PV de conciliation ne sont pas des mesures d’administration judiciaire. Le président d’audience ne peut donc pas ordonner seul le barème.
4- Le recours contre le PV de conciliation
Si l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 précisait que le barème ne pouvait pas faire l’objet d’un appel, cette stipulation n’a pas été reprise dans la loi du 14 juin 2013. Un appel peut donc être formé sur la conciliation. Cependant, les motifs permettant le recours sont très restreints. Ainsi, si la jurisprudence « Durafroid » précitée persiste, le salarié pourra contester le PV au motif que le juge est resté passif et n’a pas informé le salarié de ses droits.
✶ Ce barème a pour soi-disant objectif de revitaliser la conciliation. Or, l’obstacle majeur sur lequel bute la conciliation est en réalité l’absence de comparution personnelle des employeurs qui empêche toute tentative de concilier. La solution était donc d’abord à chercher de ce côté-là.
Les nouvelles règles de prescriptions
La loi de sécurisation de l’emploi a modifié les règles de prescription en matière de rémunération et d’exécution ou de rupture du contrat. Avant d’examiner plus en détail ces changements il convient de rappeler quelques règles.
Ainsi, il est nécessaire de distinguer la prescription de l’action et la prescription de la créance.
La prescription de l’action est le délai au-delà duquel il n’est plus possible de saisir le juge. Ce délai passé la demande n’est plus recevable. Cette prescription débute « à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ». La date butoir de la prescription de l’action se situe donc obligatoirement postérieurement à la date de connaissance des faits litigieux.
La prescription de la créance aussi appelée la prescription du droit ne se limite pas à des rappels de rémunération mais comprend également des demandes de dommages et intérêts, de repositionnement etc. C’est la période antérieure à la connaissance des faits (le rétroviseur). Elle détermine une limite en durée pour la période de calcul de la réparation. Ainsi, avec la nouvelle prescription, même si les heures supplémentaires n’ont pas été payées pendant 5 ans le salarié ne pourra prétendre au paiement de ses heures que sur une période de 3 ans.
Ainsi, il est nécessaire de distinguer la prescription de l’action et la prescription de la créance.
La prescription de l’action est le délai au-delà duquel il n’est plus possible de saisir le juge. Ce délai passé la demande n’est plus recevable. Cette prescription débute « à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ». La date butoir de la prescription de l’action se situe donc obligatoirement postérieurement à la date de connaissance des faits litigieux.
La prescription de la créance aussi appelée la prescription du droit ne se limite pas à des rappels de rémunération mais comprend également des demandes de dommages et intérêts, de repositionnement etc. C’est la période antérieure à la connaissance des faits (le rétroviseur). Elle détermine une limite en durée pour la période de calcul de la réparation. Ainsi, avec la nouvelle prescription, même si les heures supplémentaires n’ont pas été payées pendant 5 ans le salarié ne pourra prétendre au paiement de ses heures que sur une période de 3 ans.
Antérieur à la date de connaissance des faits.
Période de calcul de la prescription de la créance/ prescription du droit.
Période de calcul de la prescription de la créance/ prescription du droit.
Date de la connaissance des faits : non-paiement HS, licenciement, discrimination…
Postérieur à la date de connaissance des faits
Début du délai pour le calcul de la prescription de l’action.
Début du délai pour le calcul de la prescription de l’action.
1- Présentation des nouvelles règles de prescriptions
La prescription, qui était déjà passée de 30 ans à 5 ans par une loi du 17 juin 2008, est aujourd’hui portée à 2 ans. L’article L.1471-1 dispose désormais que : « [t]oute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ».
Concernant la rémunération, la prescription est passée de 5 ans à 3 ans. L’article L.3245- 1 dispose: « L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat ».
Cette courte prescription de 3 ans est scandaleuse dans le cadre d’un contrat de travail où le salarié est placé dans une situation de subordination vis-à-vis de son employeur. Les salariés encore en emploi ne saisissent quasiment jamais le juge, cette nouvelle règle aboutit à amnistier tous les 3 ans l’employeur de ses manquements.
Par ailleurs, le droit civil prévoit une prescription de 5 ans pour tous les versements périodiques (versement des loyers, paiement des intérêts…), or le versement du salaire est lui aussi périodique. Il est étonnant de constater que le droit du travail déroge ici au droit civil à propos d’un contrat où il existe une partie faible à protéger, le salarié. Les créances salariales sont des créances alimentaires : le salarié en a besoin pour vivre.
Ces délais restreints pourraient d’ailleurs être contraires à l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH) qui protège le droit d’accès au juge. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme considère qu'un délai de prescription extinctive des droits est conforme au droit à un procès équitable comme poursuivant un but légitime - la sécurité juridique -, mais à la condition qu'il ne soit pas « exagérément court ». En raison du fait que les salariés en emploi ne vont pas en justice contre leur employeur et compte tenu du caractère alimentaire des créances salariales, on peut considérer les nouveaux délais de prescription comme exagérément courts.
La justice, pour jouer son rôle dissuasif, doit mettre en place des sanctions effectives, proportionnelles et dissuasives. Force est de constater qu’avec le raccourcissement des délais de prescription c’est une diminution des sanctions pour l’employeur et une moindre réparation pour le salarié.
2- Les dérogations qui persistent
Comme nous l’avons déjà dit, la loi de sécurisation de l’emploi a modifié les prescriptions en matière de rémunération et d’exécution ou de rupture du contrat.
Mais, les nouvelles règles de prescription ne s’appliquent pas :
-aux actions en réparation d’un dommage corporel causé à l’occasion de l’exécution du travail (la prescription de l’action reste de 10 ans),
-au harcèlement moral ou sexuel (la prescription de l’action, reste de 5 ans),
-à la discrimination (la prescription de l’action reste de 5 ans).
Cette exception en matière de harcèlement et de discrimination est imposée par les normes européennes. Rappelons qu’en matière de discrimination, « les dommages et intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée ». Cela signifie que le salarié a 5 ans pour saisir le juge à partir du jour où la discrimination lui a été révélée, mais il pourra demander au juge de réparer l’entier préjudice né de cette discrimination, sans aucune limite de durée dans le temps.
Attention à ne pas confondre avec les actions fondées sur une inégalité de traitement sans discrimination (principe « à travail comparable, salaire égal ») : le salarié ne pourra prétendre à des rappels de salaire que sur 3 ans.
Par ailleurs, d’autres délais de prescriptions, plus courts, sont maintenus. Ils concernent notamment :
-contrat de sécurisation professionnelle (12 mois),
-reçu pour solde de tout compte (6 mois),
-licenciement pour motif économique irrégulier ou nul pour défaut d’homologation du plan unilatéral ou de validation de l’accord portant sur le plan de sauvegarde de l’emploi (12 mois),
-rupture conventionnelle (12 mois).
3- Comment ces règles s’appliquent-elles aux instances et prescriptions en cours ?
La loi de sécurisation de l’emploi précise : « Lorsqu'une instance a été introduite avant la promulgation de la présente loi, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s'applique également en appel et en cassation ». Si le juge a été saisi par le salarié avant le 14 juin 2013, ce sont les anciennes règles sur la prescription qui s’appliquent.
L’article 21 de la loi précise que les nouvelles prescriptions de 2 et 3 ans « s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation [14 juin 2013] de la présente loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ».
4- Exemples de prescriptions
Pour calculer la prescription, il faut se poser systématiquement trois questions :
-Le salarié a-t-il saisi le juge avant la date de promulgation de la loi ? Si c’est le cas, ce sont les anciennes règles sur la durée de la prescription qui s’appliqueront.
-Si le salarié n’a pas saisi le juge avant la date de promulgation de la loi, une deuxième question doit être posée : le salarié a-t-il connu les faits avant la date de promulgation de la loi ? Si le salarié a connu les faits après la date de promulgation de la loi, c’est la nouvelle durée de prescription qui s’appliquera.
-Si le salarié a eu connaissance des faits avant la date de promulgation de la loi, la prescription est-elle en cours au jour de la promulgation de la loi ? Si la prescription n’est pas en cours, c’est l’ancienne durée de prescription qui s’applique. Si la prescription est cours, ce sont les règles particulières de l’article 21 de la loi de sécurisation de l’emploi qui s’appliquent.
TABLEAU RÉCAPITULATIF DES DURÉES DE PRESCRIPTIONS
Champ d’application Durée
Exécution ou rupture du contrat de travail 2 ans
Rémunération Prescription de l’action : 3 ans
Prescription de la créance 3 ans
Licenciement pour motif économique irrégulier
ou nul pour défaut d’homologation du plan
unilatéral ou de validation de l’accord portant
sur le plan de sauvegarde de l’emploi 12 mois
Rupture conventionnelle 12 mois
Discrimination 5 ans
Harcèlement moral ou sexuel 5 ans
Contrat de sécurisation professionnelle 12 mois
Reçu pour solde de tout compte 6 mois
Actions en réparation d’un dommage corporel
causé à l’occasion de l’exécution du travail 10 ans
Anaïs Ferrer
Pôle DLAJ confédéral
20/01/2014
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